Eveil: la chasse

L'homme sortit peu à peu du brouillard dans lequel l'avait plongé ses songes. Bien qu'il fasse encore nuit, les premières lueurs de l'aurore commençaient tout juste à caresser l'horizon. Il s'était arrêté depuis le crépuscule, il ne s'était accordé que peu de repos. Son œil unique balaya les alentours, à l'affut d'un quelconque mouvement ou d'une silhouette menaçante dissimulée dans une des ombres longues que projetait timidement le ciel rosissant. En vain.

Se redressant avec précaution, il examina la branche qui lui avait servi de refuge pour la nuit: suffisamment épaisse pour lui permettre de s'assoupir sans risquer de tomber, elle était tout de même assez fine et haute pour qu'il n'ai pas trop à craindre les indésirables pendant son sommeil. Il étira ses muscles, afin de les sortir eux aussi des chaines du sommeil, et vérifia la présence de la lame de chasse à sa ceinture. Fort heureusement, il n'avait presque pas eu besoin de s'en servir depuis qu'il était arrivé sur l'ile. Il se remémorât la disgrâce subie à son village, lorsque son fils unique n'était pas revenu de l'épreuve initiatique qui aurait du faire de lui un chasseur. Et l'exil. Le long voyage jusqu'à la mer et la traversée pour enfin arriver sur cette ile. C'est alors seulement qu'il avait commencé à sentir faiblir la présence obsédante de la honte. Peu après, il était tombé sur la carcasse, et sur ces traces, et son instinct avait enfin repris le dessus, n'abandonnant la traque que pour s'accorder le minimum de repos nécessaire pour préserver ses forces. Il n'était plus possible de reculer, maintenant qu'il avait découvert la tanière de sa proie.

Le soleil lança ses premiers rayons écarlates, frappant un des hauts pics de l'ile. Il descendit sans bruit de l'arbre, et récupéra la lance qu'il avait dissimulé dans un fourré. Il était plus que temps. Il effleura la pointe et le froid de l'acier chassa les dernières brumes de la nuit, tandis qu'il pénétrait lentement dans la grotte, ne laissant pas à ses yeux le temps de s'accoutumer à la lumière du jour naissant. Une main glissant sur la paroi rugueuse, il guettait le moindre mouvement dans la pénombre, à l'affut du moindre bruit qui puisse traduire une présence. Les yeux écarquillés, il s'enfonçait dans la grotte, suivant d'instinct le passage le moins étroit et cherchant un endroit propice. Mais il n'eut pas de temps de trouver ce qu'il cherchait et interrompu par un bruit provenant de l'entrée de la grotte, il s'immobilisa contre la paroi rocheuse. La silhouette qui l'avait hanté toute la nuit se découpa dans la pénombre de la grotte, plus imposante même que ce qu'il avait entrevu la veille au soir.

C'était un vieux mâle. Le chasseur avait espéré avoir le temps de trouver un passage plus étroit dans lequel il pourrait prendre l'avantage sur l'énorme bête, pour pouvoir profiter de l'allonge de son arme sans pour autant permettre à sa proie de prendre son élan. Mais si l'endroit où il se trouvait était assez large pour qu'il puisse se tenir debout et profiter de toute sa force, il en était de même pour l'ours, et il savait qu'il n'aurait probablement le droit qu'à une seule tentative. La bête commençait sûrement à être engourdie par le sommeil, car elle ne s'aperçut de la présence de l'intrus que lorsque les muscles de celui-ci se tendirent pour porter son coup. Mais la pénombre trompa ses sens et l'arme n'atteignit que l'épaule de l'animal, tandis qu'un coup furieux projetait l'homme contre la paroi rocheuse lui faisait lâcher l'hampe. Ignorant la douleur aiguë qui lui déchirait le bras gauche, il se jeta sans attendre sur l'animal, le couteau à la main, espérant que l'ours soit encore ébloui par la lumière du dehors. La lame trouva la gorge de la bête et le chasseur bondit en arrière avant qu'elle n'ai eu le temps de le déchirer de ses puissantes griffes. Quelques secondes passèrent, interminables, avant que la bête ne s'effondre.

Cela faisait maintenant une minute que la bête ne bougeait plus. Le chasseur laissa finalement son bras retomber, tandis que les battements de son cœur ralentissaient peu à peu. Il n'en croyait pas ses yeux, jamais il n'avait espéré survivre à cette journée, encore moins vaincre l'énorme bête. Il avait conjuré le sort et venait de s'offrir un trophée dont il n'aurait jamais même rêvé. Et tandis qu'ensanglanté il se trainait avec difficulté à l'air libre, il se sentait plus vivant que jamais.

Ce matin là, Kunjana envisageait de se balader. Comme presque tous les matins par ailleurs.
Cette fois, au lieu de se diriger vers la clairière aux milles roses, elle irait à l'Antre des Ours.

Ho , bien sûr, son père serait mécontent s'il apprenait qu'elle avait rôdé par là bas à peine l'aube levée. Qu'importe, elle était avec sa fidèle jument, Plume. Elle ne risquait donc rien.
Peut être, pourrait elle en profiter pour ramasser quelques baies ? Après tout, elle pourrait sans doute faire une très bonne tarte à son père.

* Oui, c'est une bonne idée , cueillir des baies empêchera mon père de m'en vouloir , pensa Kunjana *

Avec un sourire , elle s'empressa donc de récupérer un joli panier tressé et harnacha Plume pour le départ.

" Allez ma grande, on va aller promener ! " lui dit elle

Elle monta avec grâce sur sa jument et lui donner l'ordre d'avancer lentement.
*Inutile de se presser, l'aube se lève à peine ...* songea la jeune femme.

Sifflant, et chantant, Kunjana approchait rapidement de la grotte . Il est vrai qu'elle était assez lugubre mais, elle ne lui faisait pas peur.
Elle descendit de Plume & s'apprêtait à cueillir les quelques baies qui étaient aux alentours lorsqu'un bruit retient son attention.

Sans bouger elle leva la tête vers la grotte ... Il y avait des bruits à l'intérieur ! Elle secoua la tête, comme pour se rafraîchir les idées .. le bruit avait disparu ...
Un sourire illumina son visage * Je ne suis sans doute pas bien éveillée * se dit elle.

Toute occupée à cueillir ses baies, la jeune femme ne remarqua pas l'homme ensanglanté qui sortait de la grotte à laquelle elle tournait le dos.
Plume hennit, et là, Kunjana se retourna surprise .

"Que t'arrive t-il ma ... " interloquée de voir un inconnu sortir de la grotte, Kunjana s'interrompit au milieu de sa phrase.
"Mon dieu !! Mais ... vous saignez !! " s'écria Kunjana, en s'élançant vers l'inconnu.

Arrivée à la portée de l'homme , Kunjana fut stoppée net par l'odeur du sang .. Elle jeta un timide coup d'oeil sur la forme inerte qui se trouvait derrière l'homme et se mit à pleurer ...

Il cligna des yeux dans la lumière rose et inspira à plein poumons l'air frais. Il entendit un hennissement et fût surpris d'entendre des mots. Il passa machinalement sa main droite sur les griffures profondes de son bras et dissimula une grimace de douleur.
"Hm...ce n'est rien, ne vous en faîtes donc pas sur moi..."
Il fut surpris par la réaction de la jeune femme. Ses yeux n'étaient pas encore habitués à la clarté, et il ne distinguait que vaguement ses traits, et la forme de sa monture derrière elle.
Son couteau ensanglanté toujours à la main, il se méprit sur les pleurs de son interlocutrice.
"... N'ayez crainte, je ne vous veux aucun mal."
Il rangea soigneusement la lame dans son fourreau après l'avoir essuyée dans l'herbe, et s'assit sur une pierre à l'opposé de la jeune fille, semblant presque avoir oublié sa présence et il commença à s'occuper de ses blessures.

Kunjana n'avait nullement l'habitude qu'on ne s'occupe pas d'elle ...
L'inconnu était il donc sans cœur ? Il avait tué un ours, elle pleurait et tout ce qu'il trouvait à faire c'était panser ses blessures !!

La jeune femme sentit une colère sourde monter en elle. Elle s'appliqua à la refouler malgré tout, en observant cet homme. Il n'était pas moche, non ... il y eut malgré tout un frisson d'angoisse qui parcourut le dos de Kunjana.

" - Qui êtes vous ? Pourquoi avoir tué cet ours ? Ne pouvez vous pas vous nourrir, comme moi de baies ? ... Kunjana posait milles questions à l'inconnu.

Elle le regarda à nouveau, guettant une réaction de sa part.
Comme rien ne vint, elle reprit, plus doucement, tout en s'approchant de lui :

" Monsieur ? Voulez vous que je vous soigne ? ... Je connais bien les plantes, votre blessure ne s'infecterait donc pas ..."

Elle lui toucha l'épaule saine afin qu'il la regarde ...

Errhan attendait que le flot de paroles s'appaise de lui-même, mais releva la tête au contact sur son épaule et sourit à la jeune femme.
"Vous êtes bien gentille, je ne mérite pas vos attentions... Pour l'instant, je cherche surtout une source d'eau vive à proximité."
Entendant un bruit dans le fourré proche, et voyant l'amazone sortir lame à découvert, son visage se durcit, il se releva rapidement et se mit devant la jeune femme, la main droite sur la poignée de son couteau. Les muscles tendus, il examinait son adversaire et son arme, évaluant la vitesse probable de la guerrière ainsi que la solidité de l'épée: peut-être arriverait-il à la briser lors d'une parade, mais arriverait-il seulement à parer? Il continuait à guetter le moindre mouvement de l'amazone, prenant pourtant soin de ne pas s'approcher ni même de ne pas tirer la lame au clair.
"Que venez-vous faire ici? Est-ce une partie de votre territoire? Ou peut-être avez vous coutume d'attaquer les blessés?"
Il n'y eut pas d'autre réponse à la question de la femme, et bien qu'elle ai rengainé son épée, Errhan se détendit à peine et ne la quitta pas des yeux.

L'homme la regarda ..
Il avait une grande cicatrice sur le visage cependant, Kunjana le trouva presque séduisant. Son coeur de jeune fille s'affola...

"Vous êtes bien gentille, je ne mérite pas vos attentions... Pour l'instant, je cherche surtout une source d'eau vive à proximité." répondit l'homme.

Avant que la jeune femme ne puisse répondre, Yuvati, la reine du Cri, qu'elle connaissait bien, fit une apparition plutôt fracassante...
Yuvati avait sorti son épée et l'inconnu s'était dressé devant Kunjana afin de la protéger.

Cette dernière ne put réprimer un sourire ... Ce serait plutôt l'inverse qu'il faudrait faire. Yuvati ne s'attaquerait jamais à elle ... En tant qu'unique fille née sur ces terres, Kunjana malgré son appartenance à aucune tribu était comme protégée par la déesse.

"Yuvati ! Est ce ainsi que l'on dit bonjour à une connaissance ?
De plus, je m'occupe déjà de monsieur ! fit elle d'un ton cassant ..."

* Il ne manquerait plus qu'elle le force à s'enrôler dans la tribu du Cri * songea la jeune femme.

Elle n'avait pas peur... Peut être l'inconnu se méprenait sur sa condition de femme, elle était respectée sur Wild Visions et ne craignait personne. Enfin, si ... son père !
Mais là n'était pas le sujet.

"Je m'apprêtais à conduire monsieur au lac oublié, si tu veux bien nous laisser ... " reprit Kunjana avec impatience.

*J'aimerais le connaître mieux, qui est il ? ... Avec Yuvati dans les parages, je vais échouer, il va finir par s'enfuir ... *songeait Kunjana

"Que venez-vous faire ici? Est-ce une partie de votre territoire? Ou peut-être avez vous coutume d'attaquer les blessés?"

"Yuvati ! Est ce ainsi que l'on dit bonjour à une connaissance ?
De plus, je m'occupe déjà de monsieur ! fit elle d'un ton cassant ..."

Cela faisait bien rire Yuvati de les voir aussi craintifs avec leur questions, ça en devenait presque jouissif de se faire respecter et que mêmes les hommes aient peur d'elle. Un instant dont elle ne se lasserai jamais. Elle pencha la tête afin de mieux voir Kunjana derrière le vagabond.

" Une connaissance ... Une proie tu veux dire!" Répliqua-t-elle en ricanant.

Elle se sentait si forte et puissante. Qu'est ce que c'était bon! En tout cas son rôle lui plaisait, et pour rien au monde elle ne changerait. Ses yeux fixant ceux de Errhan, sans lâcher sa prise, où il pouvait voir le sadisme de le jeune femme. Heureusement pour lui qu'il n'était pas seul.

"Je m'apprêtais à conduire monsieur au lac oublié, si tu veux bien nous laisser ... "

"Oh, mais allez y, je vous en prie!"

Elle se mit de côté, comme pour les laisser passer, mais toujours le regard posé sur l'homme. Puis elle se mis à marcher, dans le sens contraire de leur direction, de façon à ce qu'ils se croisent. Arrivé à la hauteur d'Errhan, elle lui adressa quelques mots que seul lui pouvais entendre.

"Tu as de la chance qu'elle soit avec toi ... mais elle ne sera pas toujours là!"

Puis elle s'en alla aussi vite qu'elle était venue.

Le chasseur haussa les épaules en regardant le dos de l'amazone. Une expression de profond mépris s'affichait sur son visage tandis qu'il murmura pour lui-même:
"Ce n'est ni l'arrogance, ni la soif de violence qui manquent à cette folle. Ces prétentieux sans honneur ni valeurs font rarement long feu, ils finissent toujours par tomber sur plus brutaux qu'eux-même. J'espère qu'elle ne fera pas exception à cette règle."

Tandis que la guerrière disparaissait, il détendait progressivement les muscles. Il secoua la tête, comme pour chasser les pensées sombres qui l'envahissait. Il parût alors se rappeler de la présence de la jeune femme à ses côtés et lui adressa un sourire.

"Et si vous me m'indiquiez le chemin vers le torrent le plus proche? Est-ce proche, ou devrais-je auparavant dépecer ce vieux rival?"

Yuvati étant partie, Kunjana retrouva sa timidité. Elle entendit son inconnu murmurer quelque chose sans parvenir à saisir de quoi il s'agissait.

"Et si vous me m'indiquiez le chemin vers le torrent le plus proche? Est-ce proche, ou devrais-je auparavant dépecer ce vieux rival?" lui demanda l'inconnu en lui souriant .

La jeune femme sentit son coeur bondir dans sa poitrine , quel charme sauvage il dégageait lorsqu'il souriait !

" Ce n'est pas très loin. A peine quelques lieues ... Au fait, je ne me suis pas présentée. Je suis Kunjana, et je n'appartiens à aucune tribu, comme vous d'après ce que disait Yuvati.
Je peux vous indiquer le chemin, même vous y conduire, quand à ... votre ...rival ... faites comme bon vous semble. "

Kunjana osa un regard sur l'ours mort et sentit sa gorge se nouer, elle détourna donc le regard.

" Venez, nous allons nous rendre au Lac Oublié ... "

Kunjana..Ravi de faire votre connaissance. On m'appelle Errhan et effectivement, je n'ai pas souhaité rejoindre de tribu.

Surprenant la gêne de la jeune femme pour sa proie, l'homme poursuivit:

"Pourquoi ne pas m'expliquer le chemin et partir devant? Je vous rejoindrai après que j'ai fait...ce que j'ai à faire" désignant alors de la tête la carcasse.

Il lui adressa un signe de la main alors qu'elle montait sur son cheval, et après l'avoir regardé partir, il s'attela à dépecer soigneusement sa proie afin de ne pas lui faire l'injure de laisser ses restes aux charognards.

Une fois cela terminé, il se mit en route vers le lac, la peau d'ours maintenant accrochée à son sac.